Pachyderme, de Frédérik Peeters (Gallimard 2009)

Pachyderme, de Frédérik Peeters (Gallimard 2009)

Un nouveau Frederik Peeters est généralement toujours précédé d’une attente fébrile. Pachyderme étant son premier album en solo depuis plusieurs années, [Il se consacrait alors à R.G. avec Pierre Dragon et à Koma avec Pierre Wazem.] il était attendu avec une impatience non contenue par les fans, qui rêvaient de retrouver un Peeters aussi inspiré qu’avec Pilules Bleues ou Lupus.

Peeters se plaît à aller dans des directions où on ne l’attend pas forcément, au risque de perdre et de décevoir le lecteur qui ne retrouvera pas forcément ici ce qu’il appréciait jusque là chez cet artiste. Avec Pachyderme, il explore un système narratif très symbolique, voire onirique, auquel il n’avait pas habitué ses lecteurs, mais aussi utilisant un ton parfois décalé pouvant rappeler les films d’Ernst Lubitsch ou de Frank Capra. [Références d’ailleurs appuyées par le contexte historique (les années 50) très présent par les voitures, les vêtements et le mobilier.] Si l’on pouvait voir des prémices de cet aspect de la comédie classique américaine des années 40 et 50 avec les situations cocasses mettant en scène les clients de l’hôtel dans le cinquième tome de Koma, c’est la première fois que Peeters affirme cette tendance aussi fortement dans une œuvre longue. Démarche anti-statique que certains, dont je fais partie, trouveront au contraire étonnante et stimulante. Néanmoins nous verrons pourquoi j’estime que le livre n’en est pas spécialement réussi pour autant.

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Il est intéressant de savoir que Peeters a beaucoup travaillé son scénario, le remodelant à de multiples reprises, lui qui était habitué avec Lupus (entre autres) à travailler en quasi-improvisation. Cette information est essentielle car elle pose la question du cloisonnement scénaristique et de son rapport au réel. Lorsqu’un scénario est élaboré de façon très précise, le cloisonnement empêche les débordements, et l’on gagne en rigueur ce que l’on perd en spontanéité. On troque du vivant contre des mécanismes. Le rapport entre lecture et lecteur s’en trouve réduit à une relation intellectuelle plutôt que sensorielle, une sorte de conceptualisation figée. Ce qui est étonnant, c’est que Frederik Peeters est généralement connu pour son aisance à raconter le « vrai », pour sa capacité à créer des personnages à la profondeur subtilement suggérée et pour son talent à susciter une émotion véritable. Un auteur « réaliste » en somme. Et il nous propose ici un récit surréaliste, avec des personnages qui sonnent comme des pantins et une émotion qui frôle la neutralité absolue. Bien évidemment, ici le propos n’est ni le vrai ni l’émotion, mais bien une ambiance mêlant élégance, humour décalé et surréalisme. Mais quelque chose dans Pachyderme ne fonctionne vraiment pas. J’y viens.

Si tout ou presque sonne ici volontairement faux, le Peeters « réaliste » n’est pas bien loin, et c’est là paradoxalement le principal problème de Pachyderme. Quand je parle de « Peeters réaliste », je ne parle pas de celui qui parvient à rendre crédible chaque mot et chaque geste de ses personnages... Rares sont ceux qui le font si bien ! Je parle plus exactement du Peeters qui ne peut s’empêcher de revenir au réel alors que son récit aurait gagné à rester mystérieux, comme une idée en suspend flottant vaguement dans notre tête, même une fois la lecture terminée.
Avec cette fin décevante, une sorte de « twist » final qu’il serait bien maladroit de ma part de révéler, l’auteur recontextualise son récit, lui en ôte toute la substance surréaliste qui faisait son principal intérêt. Ce soucis d’intelligibilité dirons-nous, plutôt que de « réalisme », pose en effet le problème de l’absence de l’apport du lecteur. Plus clairement, l’œuvre se suffit quasiment à elle-même, s’auto-cloisonne — sentiment appuyée par l’aspect rigide d’un scénario figé — et le lecteur se retrouve enfermé dans quelque chose de trop construit, ce qui est finalement opposé à l’idée même de surréalisme. En nous offrant cette clef finale, Peeters restreint l’interaction entre l’imaginaire de l’auteur et celui du lecteur, et propose un jeu de piste cérébral plutôt qu’une œuvre réellement fascinante et envoûtante.

Ce « twist » final apparaît non seulement comme un désir de rendre le récit accessible, intelligible, mais aussi malheureusement comme un effet de mode qui standardise un propos assez bien réussi jusque là. Cette rétrocession au réel banalise tous les symboles et événements passés, et l’on en revient alors à l’éternelle question de la démonstration et de la suggestion... Le renouveau de l’auteur n’apporte pas assez, ou plutôt n’est pas assez mûri, pour ré-équilibrer l’absence de profondeur et d’émotion, habituellement points forts de Peeters. Au delà de ses qualités évidentes, Pachyderme n’a pas ce pouvoir de fascination que seuls le silence et le mystère peuvent établir.

 

Loïc


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